Avec son grand portrait d'Achille Emperaire, Cézanne veut rendre un véritable hommage à son ami. Il veut le consacrer, dire au monde qu'il y a là un grand artiste. Il reprend la même composition que lors du portrait de son père. Il enlève juste les éléments anecdotiques du décor, le tableautin de la nature morte qu'on aperçoit sur le mur. Il supprime l'ouverture sur un autre espace dans le fond de la pièce pour tout centrer sur le sujet : Achille dans son fauteuil occupe tout le tableau. La palette s'est réduite pratiquement au bleu et rouge et au noir et blanc. Afin d'affirmer davantage son propos et pour donner du grain à moudre à la postérité du nain, il inscrit, presque en lettres d'or, en haut du tableau, des caractères d'imprimerie pour qu'on puisse identifier le personnage et reconnaître son statut d'artiste. ACHILLE EMPERAIRE PEINTRE !

Pour cette nouvelle toile que je devais réaliser, une chose me semblait particulièrement importante : l'âge de mes deux personnages, au moment où le tableau de Cézanne fut peint. Nous sommes entre 1868 et 1870 : Achille a 40 ans, dix de plus que Paul. Cézanne est encore un jeune peintre. Il se cherche, ses oeuvres sont souvent noires, narratives, épiques et tourmentées. L'influence de la grande Peinture Romantique est encore présente chez de nombreux artistes de cette époque : en 1870, les révolutions de la peinture réaliste et du plein-air s'amorcent à peine. Quant à lui, Achille Emperaire, on peut le situer dans une phase de plus grande maturité. Il subit les mêmes influences. Cependant, sa modernité à lui, dans ses thèmes et son style, se situe plutôt du côté d'Adolphe Monticelli.
Ensuite, les choses se sont imposées d'elles mêmes. J'allais peindre Paul et Achille au Jas de Bouffan. Il me fallait entrer dans la scène de leur dialogue, la construire et la représenter. Je voulais traduire et pénétrer la force de l'intimité qui existait entre ces deux amis. J'ai essayé d'être le peintre, le spectateur et l'inventeur de la relation qui existait entre ces deux hommes. Pendant cet instant de leur histoire personnelle, je crois qu'ils sont très proches l'un de l'autre. Leurs vies sont à la fois différentes et semblables : en 1868, personne ne les reconnait, la peinture est pour eux un motif d'exaltation, de souffrance et de chimères. Personnellement je ne peux pas vraiment imaginer ce qu'Achille a pu dire ou bien penser, à la fin de sa vie, en 1898, à propos des Sainte-Victoire que son cadet venait de peindre. Pour cet hommage aux deux aixois, je n'ai pas voulu utiliser la palette de l'un ou bien de l'autre. J'ai préféré opter pour une sorte de synthèse chromatique qui m'a donné une plus grande liberté. En ce qui concerne la construction même du tableau, j'ai organisé l'ensemble autour de l'étrangeté du portrait d'Achille Emperaire dont le regard échappe au spectateur. Je représente les deux artistes conjointement, dans le même espace : leur regard est dirigé hors-champ. Nous sommes à l'intérieur de cette complicité qui nous échappe : entre le peintre et son modèle, entre l'oeuvre et son spectateur.

Achille et Paul, photographies de Martine Vial-Ciccolini.
Peindre cette toile pendant le mois d'août 2013 fut une expérience singulière, une sorte de plongée dans le croisement des temps. L'histoire des artistes croise deux métiers : celui de vivre comme disait Cesare Pavese, et puis celui de peindre. L'aventure fut forte, sensible et troublante. Je me suis pris à ce jeu. Le matin, juste avant que je n'ouvre la porte de mon atelier pour rejoindre mes deux personnages, il me semblait que j'entendais le murmure des voix de Paul et d'Achille qui conversaient entre eux ! Don Jacques Ciccolini, novembre 2013.
Achille Emperaire peintre, une double exposition du 5 décembre 2013 au 26 janvier 2014, à l'Atelier Cézanne, 9 avenue Paul Cézanne, vernissage mercredi 4 décembre à partir de 18 h. A la Galerie Alain Paire, 30 rue du Puits Neuf, du 5 au 30 décembre 2013, vernissage jeudi 5 décembre à partir de 18 h.
Trois artistes contemporains participent à l'hommage de la rue du Puits Neuf : Don Jacques Ciccolini, Alain Fleischer et Georges Guye.
Catalogue Achille Emperaire, peintre (1829-1898) 64 pages, une soixantaine de reproductions, textes de Michel Fraisset et Alain Paire, maquette de Virginie Scuitto.
Vendredi 17 janvier 2014, à 18 h 30, Conférence sur la vie et l'oeuvre d'Achille Emperaire par Michel Fraisset et Alain Paire dans le grand Salon de la Bastide du Jas de Bouffan, 17 route de Galice, Aix-en-Provence.