"La Pietà de Pourrières" : une oeuvre du Maître du Fils prodigue
- Écrit par Paire alain
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Une seconde version de la Pietà de Pourrières, un triptyque des collections du Wallraf-Richartz Museum de Cologne
Autour de cet artiste sans visage et de ses assistants, les spécialistes regroupent une quarantaine de tableaux qu'on découvre dans plusieurs musées ainsi que dans des églises, en Europe ainsi qu'aux Etats-Unis (une Vierge à l'enfant est visible au musée de Cleveland). Les historiens de l'art lui attribuent Le Christ et les pélerins d'Emmaüs du musée de Varsovie, Satan semant l'ivraie du musée des Beaux-Arts d'Anvers, un Retour de Tobie du musée de Gand, une Cour des Miracles au musée royal des Beaux-Arts de Bruxelles, le tableau Suzanne et les vieillards du musée de Porto. De même, quand on consulte la base Joconde, le portail des collections des musées de France, on retrouve sous l'appellation du Maître du fils prodigue des peintures à l'huile sur bois comme La Vertu qui récompense le Travail et châtie la Paresse du musée de Chambéry, Les Noces de Cana du musée de Rouen, La Vierge à l'enfant avec saint Jean-Baptiste du musée de Pau, Les Oeuvres de Miséricorde du musée de Valenciennes, Le Vieillard amoureux du musée de Douai. On peut citer encore une Histoire de Tobit, un tableau du musée Dobrée de Nantes ainsi qu'une Parabole du Festin des noces qui appartient au musée Roger Quilliot de Clermont-Ferrand.
Quand on examine les reproductions de certaines oeuvres du Maître du Fils prodigue qui comportent souvent des éléments "maniéristes" ou bien "bruegheliens", et quand on regarde de nouveau La Pietà de Pourrières, dont les thématiques sont plus sobres et plus dramatiques, plusieurs doutes, de fortes interrogations surgissent : l'appellation Maître du Fils prodigue n'est pas rigoureuse, cet ensemble de tableaux et de dessins n'est pas toujours cohérent, on peut questionner sa pertinence et son homogénéité. En revanche, pour le cas qui nous occupe, certaines attributions des historiens de l'art sont sur plusieurs points convaincantes, si l'on considère trois ou quatre tableaux dont les publications des musées et les moteurs de recherche nous livrent les reproductions. Autour des thèmes de la Pietà ou bien de la Déposition de croix, plusieurs oeuvres identifiées comme relevant de l'atelier anversois du Maître du Fils prodigue entretiennent effectivement de fortes parentés avec le triptyque de Pourrières, en particulier un tableau conservé à la National Gallery de Londres où l'on retrouve le Christ, Marie et Saint Jean.
Une autre reproduction transmise par Cécile Scailliérez est troublante. Il s'agit aussi d'un triptyque montrant une Pietà, conservée au Wallraf-Richartz Museum à Cologne et reproduite au début de cet article : incontestablement, la partie centrale de ce panneau ainsi que ses deux volets constituent une seconde version du tableau de Pourrières. Un peu plus d'interiorité, de densité et de gravité sont discernables dans le tableau qui nous est familier. A quelques variations près - la plaie du Christ du Wallraf-Richartz Museum est plus sauvage et plus violente - les personnages de Cologne sont les mêmes que ceux de Pourrières, leurs gestes et leurs positionnements sont identiques, le pagne du Christ est maculé de sang. On peut cependant estimer que Pourrières est qualitativement supérieur à Cologne : les yeux baissés des personnages du musée ne peuvent pas supplanter l'extraordinaire frontalité qui se déploie dans les trois panneaux de l'église Saint-Trophime. L'élément qui différencie fortement ces deux Pietà, c'est le paysage de l'arrière-plan qui se révèle plus tourmenté et plus diversifié à Pourrières : à une nuance près, dans les deux tableaux, les hautes tours fortifiées qu'on aperçoit au-dessus du visage du Christ sont presque identiques. D'autres détails permettent d'établir d'autres différenciations : la grande épée que porte Joseph d'Arimathie est davantage visible à Cologne où apparaissent des attributs supplémentaires, par exemple les trois clous de la croix qu'on aperçoit dans la proximité de la coupe où fut recueilli le sang du Christ. Grâce aux indications de Cécile Scailliérez, une étape essentielle vient d'être franchie. Il faudrait pouvoir proposer d'autres hypothèses, solliciter des bases de données, consulter des historiens et des spécialistes. Pour l'heure, songeant aux tableaux de Cologne et de Pourrières ainsi qu'au panneau de la National Gallery de Londres, mon voeu serait que soient identifiés d'autres tableaux issus de cet atelier d'Anvers, et que l'on puisse délimiter à l'intérieur des regroupements du Maître du Fils prodigue un sous-ensemble que l'on attribuerait désormais au Maître de Pourrières ... Alain Paire

Var Matin, article publié le 25 septembre 2013.
