Jean-Louis Marcos
- Écrit par Paire alain
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Jean-Louis Marcos, vernissage de Georges Guye, 30 rue du Puits Neuf, 29 novembre 2007.
Il y avait en lui quelque chose de perpétuellement mobile : Jean-Louis était intrinsèquement mince, on ne pouvait pas imaginer qu'il puisse prendre du poids. Une silhouette longiligne et un type de réflexion immédiatement identifiables, une façon de marcher et de s'éloigner qui n'appartenaient à personne d'autre. Des haussements d'épaules, des moues, des sourires, des rires et des colères. Une élégance native, des mouvements d'une grande gentillesse, de la joie, du respect et de l'attention, beaucoup d'humour et pas mal de secrets. Une solitude, des paroles et des gestes qui signaient une manière de surgir et de déranger à nulle autre pareille. Jean-Louis Marcos proférait volontiers une phrase d'Albert Camus qui savait parfaitement qu'on "est responsable de son visage".
Jean-Louis Marcos nous a quittés ce vendredi 28 septembre 2012. Il était revenu à Marseille pour ranger ses affaires, avant de retourner dans les Cévennes, auprès de sa famille. Il voulait achever de rapatrier sa collection personnelle. Il le disait à ses amis : ce qu'il ne souhaitait pas, c'était devoir quitter ce monde avant son père qui aujourd'hui, est âgé de plus de 100 ans. Il aura remonté une ou deux dernières fois, péniblement et douloureusement, les cinq étages de son escalier, rue Saint-Férreol.
Au Provençal, Gaston Defferre était présent. Tout était à la fois facile et difficile, si l'on était capable d'audace. Au-dessus de lui, pour ses chroniques, il y avait Edmée Santy et Jean-René Laplayne ; Edmonde Charles-Roux, Christian Poitevin/ Julien Blaine lui donnaient des coups de main, il ne fut jamais inquiété. Jean-Louis ne restait jamais longtemps dans la salle de rédaction du journal, il déposait son papier et s'en allait, une dactylo s'occupait de la mise en ligne. On retrouve sa manière de dire, son regard rapide, la qualité et l'indépendance de ses informations dans 7.000 articulations, les chroniques de blog qu'il aura livrées en 2011, avant de devoir se taire.
Nous parlions métier, je livrais des chroniques dans un hebdomadaire qui s'appelait Semaine-Provence. De guerre lasse - je crois qu'il a tenu pendant deux ans - quand il décida de démissionner, il m'appela au téléphone : il m'expliqua comment poser ma candidature pour lui succéder, il me donna la plupart des clefs qui me permirent de frayer chemin dans un environnement difficilement prévisible. C'était voici déja un quart de siècle, en mars-avril 1987. Il avait un regard très désillusionné, parfaitement décapant par rapport aux institutions, vis-à vis du petit clan des dominants marseillais. Marcos avait voulu quitter Le Provençal pour un hebdomadaire qui suscitait beaucoup d'espoirs, dont la durée de vie fut dramatiquement brève. Il ne regrettait rien, il avait parfaitement fait ses preuves : sa boucle était bouclée.
Il passait quelquefois à Aix, au 10 rue des Marseillais. Il roulait son tabac, achetait un ou deux livres, regardait les expositions avec détachement et attention. Il pouvait être injuste, ou bien merveilleusement enthousiaste, c'était un homme de parti pris. Il tenta toutes sortes d'aventures dans le cinéma, pour des petits documentaires pas du tout institutionnels. Je me souviens d'un film autour d'Athanor et de Jean-Pierre Alis, je le revois marchant sur une petite place de Céret, échangeant des mots avec Jean Capdeville. Le passionnait l'Afrique où il séjourna souvent. D'autres sauront dire ses passions et ses amours, son entêtement, sa famille et sa solitude, toutes sortes de péripéties et de déplacements qui ne finissaient pas toujours bien. Je crois l'avoir aperçu une dernière fois, rue Sylvabelle, à la galerie du Tableau de Bernard Plasse, pour une exposition de Liliane Giraudon et Jean-Jacques Viton.
Mardi 2 octobre 2012, vers onze heures, nous serons nombreux, j'en suis certain, pour venir lui dire adieu, au crématorium du cimetière Saint Pierre de Marseille. Je me souviens qu'il m'avait raconté une cérémonie au même endroit, c'était pour une artiste que nous aimions beaucoup, Hélène Gava. Mardi matin pour me rendre au cimetière, je prendrai le tram 68 à la station Noailles, il continue de passer sous La Plaine. Jean-Louis, merci pour ton désintéressement, ta mélancolie et ta liberté, merci infiniment pour ta noblesse, ta drôlerie et ton intelligence.
Alain Paire

2 août 2012, Jean-Louis Marcos accompagne l'exposition d'une partie de sa collection dans un Temple de la vallée française des Cévennes, l'ancienne église de Valfrancesque (photographie Rodolphe Soucaret).
Son frère Kaïto Marcos s'occupe d'éditer le manuscrit du dernier livre de Jean-Louis Marcos, son Petit abécédaire turlupin de l'art contemporain, qui paraîtra ce printemps à Barre des Cévennes chez l'éditeur Patrick Roy. Un pot commun vient d'être créé pour réunir les souscripteurs de ce livre en voie d'impression.
Un blog a été créé sur ce lien pour évoquer tous les souvenirs que ses amis peuvent avoir de la trajectoire de Jean-Louis. Cf. sur cet autre lien du site Les Influences, un article d'Emmanuel Lemieux qui permet de retrouver les références de plusieurs textes de J-L Marcos.
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Extraits de l'hommage à Jean-Louis Marcos, de GEORGES GUYE, prononcé le 13 Octobre 2012, au 200 RD 10, route de Vauvenargues, à l’occasion du vernissage de l’exposition Paysages et Broussailles.
"Vous ne verrez pas ce soir la haute silhouette élégante, chapeautée d’un panama ou d’un feutre marron à large bord, saluant un tel, esquivant un autre mais prenant son temps pour regarder les sculptures et les peintures exposées.
La fréquentation des œuvres d’art, c’était la coterie qu’il s’était choisie. S’il suivait avec constance les travaux des artistes de sa génération, il adorait découvrir les jeunes artistes dans leur atelier. Bien sûr, il s’intéressait à la matérialité de l’œuvre et à ses significations, mais je crois que ce qui lui plaisait le plus c’était le tremplin qu’elle lui offrait pour retrouver ses références préférées : archéologiques, mythologiques, historiques, géographiques…
Quand on engageait la conversation il ne tardait pas à rejoindre les peintures des Grottes de Lascaux ou d’Altamira, les sculptures africaines ou les peintures aborigènes. Mais c’était après coup, dans ses articles, qu’il donnait l’ampleur de sa sensibilité et de son aisance de cosmonaute de l’espace artistique.
Aussi c’est avec surprise puis jubilation que je découvrais les fulgurances exotiques élaborées à partir de mes sculptures que pour ma part je trouvais réalistes et ancrées dans la vie quotidienne. Je cite : "Georges Guye est un artiste qui met la jambe". "La sculpture Rolling Stone est une grande sculpture érotique. Depuis que je la connais je la surnomme "la Grande Foufoune Duchampienne". "Les sculptures "Corps à Corps" sont la poursuite d’une ancienne tradition de l’histoire de l’art. Il existe en effet des peintures rupestres de lutteurs qui ont 5000 ans, dans les cultures d’Akkad et de Sumer." "Ainsi Georges Guye fait-il remarquer que ses érotiques n’ont aucun problème de stabilité au sol non plus que de socle. Eros se passe de socle, il est le socle du monde". Nombreux sont les artistes et les amis ici présents qui pourraient témoigner d’autres de ces exercices de haut vol que Jean Louis exerçait sans filet.
Il excellait dans les performances présentées à l’occasion des fêtes d’anniversaire.,Je me souviens de "L’enlèvement de Galatée" mis en scène avec Laurence Michoulier, Max Sauze et Géo Viale. Je me souviens de ce conte d’après Roland Dubillard qu’il avait mis en images : "La Poire, Georges et la Fourmi". Je me souviens aussi de ce texte mélancolique sur la mort. Il disait qu’on n’élève jamais assez le niveau et qu’il ne fallait pas avoir peur de faire long et un peu chiant.
SALUT A TOI, JEAN-LOUIS".
Georges Guye.