François Aubrun, entre Château-Noir et Tholonet : le peintre de Saint-Joseph
- Écrit par Paire alain
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François Aubrun, huile sur toile, 130 x 97 cm
Né à Boulogne-Billancourt en 1934, François Aubrun découvrit Aix-en-Provence en 1949, à la faveur d'un voyage effectué en compagnie de son grand-père. Frédéric Pajak rapporte que celui qui allait devenir peintre avait 15 ans, cette première rencontre fut décisive. "Aubrun comprend qu'il ne pourra plus se passer de cette lumière. Il y revient l'année suivante, puis chaque année ou presque, durant les vacances, avec le train pour Marseille, et le trolley jusqu'à Aix. Parfois il pousse jusqu'au Tholonet avec des toiles et des tubes de couleur sous le bras. En auto-stop à l'aller, à pied au retour, car la peinture à l'huile n'est pas sèche et elle sent fort. Là il y trouve un paysage "dur, tragique et très aigu". Quelques années plus tard, Aubrun épousait en 1956 Martine Bassot qui donnera naissance à six filles. La sixième se prénomme Ségolène, elle est artiste-peintre.
En 1960, François Aubrun et sa famille adoptent pour résidence principale l'un des plus singuliers lieux de la campagne aixoise, le domaine Saint-Joseph, à quelques kilomètres de la Sainte-Victoire. Un domaine qui fut un espace de retraite et de repos pour des Jésuites, une propriété que les familiers des territoires de Cézanne identifient immédiatement. Quand on descend vers Le Tholonet, juste après les grands virages de Château-Noir, en aval des crêtes du plateau de Bibemus, le regard se hisse et découvre un porche, des champs d'oliviers, des rochers, des chênes, des cyprés, des pins ainsi que la haute nef d'une église du XVIII° siècle. Jusqu'à sa mort survenue le 5 février 2009, François Aubrun travailla dans cet espace extraordinairement prégnant.
Auteur d'une monographie consacrée à François Aubrun qui vient de paraître, Frédéric Pajak avait été irrésistiblement requis par cette oeuvre lorsqu'il l'aperçut parmi les tableaux d'un ami suisse, Nicolas Raboud à qui l'on doit le titre de son livre, Aubrun / L'absolue peinture. Frédéric Pajak n'a pas seulement écrit et projeté cet ouvrage de 312 pages, un format cartonné 24 x 30 cm. L'éditeur des Cahiers dessinés accompagne chacune des étapes de la réalisation. Il voulait que les images des toiles soient irréprochables : les tableaux furent photographiés à Saint-Joseph, dans la lumière qui les vit naître. Leurs reproductions en couleurs ont été photogravées et vérifiées sur place, un film de 52 minutes qui évoque l'oeuvre d'Aubrun et la fabrication de ce livre en portera prochainement témoignage.
Dans ce livre, tout commence par une approche des lieux qui hantèrent souverainement la trajectoire d'Aubrun. Réalisées en 2005, les photographies en noir et blanc de Magali Koenig remémorent sa demeure, l'atelier et l'église Saint-Joseph. On entrevoit la silhouette colossale de l'artiste, son regard, sa concentration et simultanément sa soumission à l'espace : on imagine mieux pourquoi ses proches racontent qu'Aubrun avait "une façon de vivre à la fois insouciante et tragique". On découvre une allée bordée d'arbres rigoureusement magique, un escalier de pierre, les branches des grands pins qui se penchent. On scrute l'embrasure et les croisillons des fenêtres de l'église, la réserve où s'entassent des centaines de tableaux et puis son atelier. On pressent de quels émerveillements et de quels poids furent porteuses la campagne proche, la brume et les réverbérations qui remontent depuis la Vallée de l'Arc, la montagne dont la présence ne s'efface jamais. On ne peut pas oublier les ombres du cimetière qui jouxte l'église ; des rangées de croix rouillées marquent l'emplacement des tombes des moines qui furent enterrés debout.
François Aubrun, photographie de Magali Koenig.
Toutes ces évocations et la centaine de toiles reproduites dans cet ouvrage accompagnent magnifiquement les commentaires de cette oeuvre. Des textes critiques de Georges Duby, Henri Maldiney, Georges Raillard et Nicolas Raboud figurent au sommaire de l'ouvrage. Pour sa part Frédéric Pajak explique qu'Aubrun attendait tout de la transparence. Une maladie pulmonaire contractée très jeune semble l'avoir déterminé : "J'étais allongé sur une planche … et je passais mes journées à regarder les nuages manger le ciel et le ciel se venger sur les nuages. Je voyais comment les choses se passaient, ce qui résistait, ce qui envahissait".
Début novembre 2012, à l'instigation de Martine Lusardy et de Frédéric Pajak, une rétrospective François Aubrun, liée à la parution de l'ouvrage des Cahiers dessinés, s'est déroulée à Paris, 15 rue de Thorigny, dans l'espace Topographie de l'art.Aubrun / L'absolue peinture, 59 euros. Pour d'autres images et renseignements, site www.françois-aubrun.com.Cf François Aubrun, l’effacement, texte de Nicolas Raboud, revue Le Cahier dessiné n°4, Éditions Buchet/Chastel, Paris, 2004.